Comment a-t-il réussi ce tour de force ?
Sans doute parce qu'à l'époque où de Tounens apparaît, Chili et Argentine, fraîchement indépendants, sont en pleine campagne de "pacification". Entendre par là la soumission brutale et sanglante des populations autochtones qui vivent aux confins des nouvelles républiques, et qui voient dans le fantasque français un allié de circonstance.
Peut-être aussi en raison de l'existence de mythes indiens toujours vivaces qui racontent que des hommes blancs et barbus, des demi-dieux vont surgir de la mer pour sauver l’empire indien, comme en ont profité les conquistadors Hernán Cortés et Francisco Pizarro en leur temps.
Sans doute enfin grâce à une force de persuasion hors du commun qui a permis de gagner la confiance et le respect des toquis (chefs suprêmes) et des loncos (chefs locaux) des différentes tribus : les Puelches, les Tehuelches, les Alakalufs.
A moins que ce ne soit l’alcool qui ait enivré les tribus indiennes…
Le Chili voit évidemment d’un mauvais œil les agitations de cet homme venu de nulle part, qui envisage d’exploiter les mines d’argent, d’étain, et de cuivre, et qui veut ouvrir une ligne de vapeurs entre Bordeaux et l’Araucanie.
Il sollicite même le soutien de Napoléon III, heureusement pour les Chiliens, trop occupé par sa campagne militaire au Mexique (1).
En 1862, l’armée chilienne le fait prisonnier et la justice le déclare fou. Orélie-Antoine Ier est interné dans un asile d’aliénés jusqu’à ce que la diplomatie française parvienne à le faire libérer.
Jean Raspail qui a écrit le roman de cette vie, Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (2), restitue un dialogue entre le conseil de France de Valparaiso et le roi déchu quand il monte à bord du bateau qui le rapatrie en France :
"-Bon voyage, Excellence ! Mais de grâce, ne revenez pas !
- Pourquoi ? Louis XI après Péronne, François Ier après Pavie, n’en étaient pas moins roi."
Ainsi, Antoine de Tounens ne s’avoue pas vaincu. Il se sent spolié de son royaume, en exil en France. Il multiplie les initiatives pour alerter l’opinion publique et le gouvernement français, il lance même une grande souscription nationale pour récupérer ce royaume "de Nouvelle France".
L’infatigable aventurier parvient à trois reprises à monter de nouvelles expéditions sur le continent sud-américain mais il est vite arrêté et reconduit en France.
Lors de la dernière tentative en 1876, il tombe gravement malade.
Il meurt peu de temps après le 17 septembre 1877 à Tourtoirac chez son neveu Jean qui l’a recueilli, tous les autres membres de la famille ayant tourné le dos à cet homme qui les avait ruinés.
Célibataire et sans enfant, il confie la succession de son trône à son ami Gustave Achille Laviarde (Achille 1er).
Ce drôle de royaume d’Araucanie est aujourd’hui occupé par Philippe Boiry qui défend le droit des indigènes dans les organismes internationaux.
Les curieux peuvent se rendre au musée des rois d’Araucanie, installé dans une annexe de l’abbaye de Tourtoirac, qui raconte la folle épopée de son fondateur à travers des vieilles cartes chiliennes, des extraits de journaux de l’époque, ou encore des tissages mapuches…
Ils peuvent aussi fait un détour par le cimetière de Tourtoirac où une tombe signale modestement : "Ici repose de Tounens Antoine, Roi d’Araucanie et de Patagonie".