Elle a le regard fixe et pénétrant. Bras tendus, tête inclinée, son corps s’étire vers le ciel. Sa robe à volants subit les mouvements saccadés de ses bras et de ses talons piétinant frénétiquement le sol. Sans lui adresser de véritable regard, le cantaor la suit avec une voix chevrotante. Il déroule sa complainte et l’envoûte au claquement de ses "palmas" (claquements de mains). A ses côtés, une pluie de notes sort de la guitare du troisième compère.
Elle finit son spectacle en sueur et haletante. Visage détendu, colère expiée, elle retrouve le sourire qu’elle partage avec son public. Debout, l’auditoire couvre la danseuse d’applaudissements comme pour la remercier de sa sincérité. Nous sommes dans l’un de ces fameux "cafés cantantes" de Séville, comme il en existe beaucoup dans cette région andalouse, berceau incontestable du Flamenco.
Le Flamenco, Merveille Artistique de l’Espagne
Les mystérieuses origines du Flamenco
Expression artistique née de la fusion du chant (cante), de la danse (baile) et de l’accompagnement musical (toque), le Flamenco intègre la liste des biens culturels immatériels reconnus par l’UNESCO le 16 novembre 2010.
L’origine exacte du Flamenco reste cependant difficile à déterminer. Il faut se référer aux ouvrages littéraires pour découvrir des témoignages dont les premiers apparaissent au XVIIe siècle. Dans la "Gitanilla", Cervantès raconte l’histoire de "Preciosa" et de ses danses andalouses. En 1740, dans le manuscrit de "Bachillos Revoltoso", apparaît la petite fille de Baltasar Montes, le gitan le plus âgé de Triana. Elle danse pour les nobles de Séville. Des instruments l’accompagnent.
Le Flamenco, une tradition gitane gardée secrète
Sans nul doute, le flamenco est né en Andalousie, à la croisée des chemins entre Gitans descendant du nord et Gitans venant du sud. Chrétiennes, arabes, juives, les influences sont multiples mais le coeur de cet art bat avant tout au rythme des Gitans...
Après avoir quitté l’Inde, ce peuple de nomades arrive de part et d’autre en Andalousie en 1440. Ils donnent alors naissance à un art uniquement chanté mêlant les différentes influences artistiques, religieuses et culturelles rencontrées sur leur passage.
C’est dans ce qu’on appelle le Triangle d’Or, formé de Séville, Cadix et Huelva que le flamenco trouve sa source.
En 1499, apparaissent les premières lois contre les Gitans et le nomadisme est considéré comme hors la loi. Aux XVII et XVIIIe siècles, leur langue est d’ailleurs interdite.
Persécutés jusqu’en 1783 par la couronne d’Espagne et convertis au catholicisme, ils s’expriment en chantant dans les fêtes privées. La musique gitane andalouse est alors une tradition secrètement gardée ne se transmettant que de génération en génération.
Tel un baromètre sentimental oscillant entre peines et joies, l’expression de l’âme gitane transparaît au travers du flamenco.
Le chant, la danse et l’accompagnement musical
La première forme d’expression fut le chant a cappella ou "Palo seco", nom donné aux prémices du Flamenco dont le genre le plus connu reste la toná.
Bien que la danse et les instruments ne soient arrivés qu’après, ces trois éléments associés confèrent aujourd’hui au Flamenco toute la volupté, la dramaturgie, la joie et la tristesse qu’on lui connaît.
Le chant ou le cante, constitue l’essence même du Flamenco. Une soixantaine de familles de chants ont été répertoriées.
Certains chants font référence à une ville, comme la Granadina (de Grenade), la Rondeña (de Ronda), d’autres à un statut social, tels les Carcelas (des prisonniers), les Mirabras (des vendeurs de légumes des marchés) ou encore le Cante de las Minas (des mineurs), ou bien à une époque de l’année, comme les Saetas (de la Semaine Sainte).
Et ces différentes familles de chants peuvent être reclassées dans deux grandes catégories selon la nature de l’émotion véhiculée.
Le plus tragique, le cante jondo est selon Manuel de Falla "un rarissime exemple de chant primitif, le plus vieux de toute l’Europe. Il a la nudité, l’émotion frémissante des races orientales."
Les cantes festeros expriment quant à eux la joie comme les Alegrias ou la Rumba.
La danse ou "baile", a apporté une autre dimension au Flamenco, faisant naître de nouvelles émotions, des plus légères aux plus profondes, accentuées par la puissance des "taconeos" (claquements de talons) ancrant définitivement le corps dans les profondeurs de la terre. Le Flamenco est un art caractériel, instable, passant du rire aux larmes. La danse, par ses gestes sensuels, sensibles, secs et délicats ne fait que renforcer ce sentiment d’ambiguïté.
L’accompagnement musical ou le "toque" est principalement représenté par la guitare espagnole à six cordes. Au fil du temps, sont venus se rajouter les castagnettes, les "palmas", le "cajon"...
Dans l’histoire des grands artistes de la guitare, résonnent des noms comme Manolo de Huelva, Niño Ricardo, Ramon Montoya ou Paco de Lucia.
Flamenco versus folklore andalou
Avec le temps, la musique gitane andalouse n’a cessé d’évoluer. Selon Paco de Lucia, "le Flamenco a trop de personnalité, trop de caractère et trop de force émotive pour garder la même forme toute sa vie". Il se popularisera également, au grand désespoir de certains, sous le nom de folklore andalou avec l’apparition de différentes variantes comme la sevillana, le fandango, le vito...
Des "cafés cantantes" se propagent pour donner libre expression à la ferveur d’artistes passionnés.
Le Flamenco n’a pas attendu la reconnaissance de l’Unesco pour se répandre à travers le monde. De l’Amérique Latine à l’Asie, de nombreuses académies ont été ouvertes. Autrefois considéré comme vulgaire, il s’agit aujourd’hui d’un art prisé, un diamant à l’état brut que les puristes veillent tant bien que mal à préserver de toute érosion.
Asssister à un spectacle de Flamenco à Séville
- Casa de la Memoria, calle cuna 6. www.casadelamemoria.es
- Museo del baile flamenco www.museoflamenco.com
Terra Espana