Au coeur de l'altiplano de Bolivie, il est une ville où on ne fait en général que passer.
Il faut dire qu'Oruro, cinquième agglomération du pays (230.000 habitants) n'a pas exactement le profil de la ville de carte postale.
Il y a beau temps que les mines d'argent qui ont fait sa prospérité ont périclité, et ce sont des installations industrielles vétustes et à l'abandon qui accueillent les visiteurs, implacables signes d'un déclin qu'Oruro ne parvient pas à enrayer.
Les rues strictement au carré et sans aucun charme du centre ville parachèvent l'impression initiale : définitivement, Oruro fout le cafard.
Pourquoi en parler alors ? Parce qu'il y a un "MAIS", bien sûr.
Et même un "mais" majuscule, et qui justifie que l'on s'y rende au moins une fois : Oruro est la capitale du carnaval de Bolivie.
Non pas qu'il n'y ait pas de célébrations à La Paz, Santa Cruz ou Cochabamba (les trois plus grandes villes du pays), mais question carnaval, à Oruro tout est plus grand, plus remuant, plus fascinant.
Le Carnaval d'Oruro, plus grand Carnaval Autochtone d'Amérique Latine
Mais pourquoi Oruro ?
L'histoire de la Bolivie est celle d'une succession d'invasions et de dominations (Aymaras & Urus > Incas > Espagnols), les nouveaux maîtres imposant leur culture (langage, croyances, coutumes ...) pour affirmer leur suprématie.
Mais plutôt qu'à une superposition de cultures consécutives, on assista à leur amalgame.
Ainsi le Tio (oncle) Supay, divinité du monde sous-terrain, fusionna avec le diable.
Ainsi la Pachamama, déesse de la terre, fut assimilée à la Vierge Marie.
Ainsi les lieux sacrés de uns devinrent vénérés par les autres.
A l'époque pré-incaique, Oruro est déjà un centre de pélerinage important pour les Urus, des pêcheurs-éleveurs qui occupent les rives des grands lacs de l'altiplano (le lac Titicaca, sur la frontière entre Pérou et Bolivie, et le lac Poopo, à proximité d'Oruro).
La ville acquiert une dimension catholique notable avec l'apparition, en 1789, d'une vierge miraculeuse, la Virgen de la candelaria del socavón (Vierge de la chandeleur de la mine).
Le culte que les mineurs lui vouent va grandissant, et s'accompagne progressivement de festivités de plus en plus élaborées.
Au XIXe siècle, une danse prend corps et se codifie : la Diablada.
Des danseurs costumés, les uns en diables, les autres en anges (guidés par l'archange Saint Michel), mettent en scène l'affrontement entre le bien et le mal sur une musique joyeuse qu'on dirait inspirée d'airs provençaux.
Entre 1900 et 1940, on s'organise. Des comparsas (littéralement des "groupes de compères") défilent spontanément dans les rues de la ville.
Très vite, on ne danse plus uniquement la diablada, d'autres styles font leur apparition (morenada, tobas *1...).
Le carnaval d'Oruro prend de l'ampleur, les participants viennent désormais de tout le pays et de toutes les classes sociales.
En 1970, le gouvernement décerne à Oruro le titre de capitale nationale du folklore bolivien.
Enfin en 2008, le carnaval d'Oruro est inscrit, en tant que chef-d'oeuvre, au Patrimoine Oral et Immatériel de l'UNESCO.
Le Carnaval Moderne
C'est aujourd'hui un rendez-vous de premier plan, suivi par plus de 200.000 spectateurs.
Durant deux jours, une cinquantaine de comparsas, composée de dizaines de danseurs et de musiciens, défilent de jour comme de nuit sur les quatre kilomètres du parcours qui traverse la ville.
Il aura fallu des mois de préparation pour confectionner de spectaculaires costumes, parures et masques magnifiquement bariolés *2, pour peaufiner des chorégraphies éblouissantes, pour synchroniser des fanfares de cuivres & percussions assourdissantes.
Après deux heures absolument exténuantes, danseurs et musiciens achèvent le défilé à genoux aux pieds de la représentation de la Virgen del socavón, qui trône dans la cathédrale qui domine la ville *3.
Pour avoir une idée de la diversité des styles et de l'ambiance dans laquelle se déroule le carnaval d'Oruro, on préfèrera vous laisser consulter ces quelques vidéos.
TERRA ANDINA BOLIVIE